L'Odyssée d'Odysseus

 

 

Après la chute de Troie, on pourrait croire que tout est bien qui finit bien pour les Grecs. Eh bien pas du tout! En rentrant dans une des salles du palais de Priam, ils ont osé porter la main sur Cassandre, l'étrange devineresse, alors qu'elle faisait ses dévotions a Athéna. Furieuse, Athéna met Poséidon de son côté et il déchaîne une tempête si terrible que nombreux sont les Grecs qui périssent dans les flots impitoyables. Mais comme Athéna a toujours eu une affection particulière pour Odysseus, elle lui réserve à lui un sort moins définitif: il aura à subir un certain nombre d'épreuves avant de retrouver sa chère Ithaque, son île bien-aimée. Mais quelles épreuves !

 

1. Le mal des fleurs

Odysseus vient donc de quitter le rivage de Troie quand les vents sauvages commandes par Poséidon se lèvent. Alors que la plupart des bateaux grecs sont mis en pièces, Odysseus et son équipage dérivent pendant neuf jours et neuf nuits sur la mer déchaînée. Ils finissent par échouer sur une grève. Là, d'étranges habitants s'empressent de leur offrir à manger des fleurs de lotus. Parmi les compagnons d'Odysseus, les plus affamés se jettent dessus. Mal leur en prend. Ils oublient instantanément tout leur passe et n'ont plus qu'une idée: rester dans l'île des mangeurs de lotus, les Lotophages. Voyant cela, les autres ne pensent plus au contraire qu'à en partir! Ils doivent enchaîner leurs compagnons envoûtés par les Lotophages, pour rejoindre les navires qui mettent aussitôt a la voile.

 

2. Une évasion à quatre pattes

Dans l'île suivante, ils abordent en espérant trouver un peu de calme. Odysseus part en reconnaissance avec douze de ses compagnons. Apercevant une caverne, ils y pénètrent. Personne ne s'y trouve mais elle semble appartenir à un homme prospère car elle est splendide, vaste, profonde. Tout au long des parois, dans des enclos, une foule de chevreaux, d'agneaux. Sur des étagères s'empilent des fromages. Tout à coup, un bruit de tonnerre les fait sursauter. Odysseus et ses compagnons aperçoivent avec horreur un géant impressionnant plus haut qu'une montagne, avec un seul oeil rond au milieu du front. C'est le monstrueux cyclope, Polyphème. Apercevant les compagnons d'Odysseus, il en saisit aussitôt un dans chaque main et lui fait jaillir la cervelle en écrasant son crâne contre le sol. Lentement, il se régale. Puis repu de cet affreux festin, il s'endort et se met à ronfler.
Mais Odysseus ne peut sortir car Polyphème bouche l'entrée. Il doit assister, quelques heures plus tard, au déjeuner de Polyphème qui se compose de la même chose que son dîner. Enfin, le cyclope sort, emmenant ses troupeaux, bouchant la caverne. Odysseus a un plan. Il prend un énorme madrier: avec ses hommes, ils en taillent la pointe et la font rougir au feu. Quand le cyclope revient, il mange à nouveau deux des hommes d'Odysseus. Et pendant le sommeil d'ivrogne qui suit, Odysseus lui plonge la pique enflammée dans l'œil unique, et il tourne. Le cyclope pousse un effroyable rugissement. Il se rue d'un coté a l'autre de la caverne, ne trouve personne... puis, il repousse la dalle de pierre qui ferme l'entrée de la caverne. Mais, là encore, Odysseus a un plan... Au matin, quand le cyclope tâte le dos de tous ses moutons pour s'assurer qu'aucun d'eux ne porte un homme, pas une seconde, il ne pense à leur tâter le ventre. Car c'est là qu'Odysseus et ses compagnons sont accrochés, dans la laine des énormes moutons. Enfin dehors, ils sautent à terre et s'enfuient jusqu'à leurs navires où les amarres souquent ferme pour gagner au plus vite la pleine mer .

 

3. Plein vent sur les géants

Mais les épreuves ne sont pas finies. La suivante, c'est le pays des vents. Eole leur voulait-il vraiment du mal lorsqu'il donne à Odysseus en guise de cadeau de départ un sac de cuir dans lequel il a enfermé tous les vents des tempêtes ? Ne savait-il pas, le dieu Eole, que les hommes sont incapables de résister à la curiosité d'ouvrir quelque chose qui est fermé ? Certainement, il le savait. En tout, cas, quand les mains d'Odysseus délient le petit cordon qui tient le sac fermé, le navire est pris dans la plus furieuse des tempêtes. Finalement, ils aperçoivent la terre et parviennent à mettre le cap dessus. Mais les malheureux auraient mieux fait de rester sur la mer déchaîné, parce qu'aussitôt qu'ils mettent le pied sur l'île, ils sont attaqués par les abominables Lestrygons qui sont des géants cannibales et qui commencent aussitôt à dévorer les compagnons d'Odysseus. Il ne reste aux survivants qu'à fuir.

 

4. Circé au terrible pouvoir

Enfin, les voilà dans l'île de Circé. Cette femme va-t-elle leur apporter douceur et gentillesse ? Pas du tout. C'est une magicienne aux terribles pouvoirs et elle s'amuse, dès qu'elle les voit, à transformer les premiers hommes d'Odysseus en charmants petits cochons noirs! Heureusement alors qu'Odysseus vole à leur secours, il rencontre Hermès qui lui donne une herbe magique capable de rompre les maléfices de la magicienne. Après avoir bu une décoction de cette herbe, Odysseus se présente devant Circé et menace de la transpercer de son épée si elle ne délivre pas à l'instant ses compagnons. Circé est si étonnée de voir Odysseus lui résister... qu'elle en tombe amoureuse sur-le-champ. Elle délivre tout le monde et une douce vie commence pour Odysseus et ses compagnons, tellement douce q:u'ils la font durer une année entière.

 

5. Le grand égorgement

Au bout d'un an, une nouvelle épreuve les attend, peut-être la plus terrible de toutes: Odysseus doit descendre au Royaume des Morts afin de trouver le vieux devin Tirésias. Il n'existe qu'un moyen de faire revenir à soi les morts: le sang, car toutes les âmes sont possédées d'une soif insatiable de sang. Odysseus égorge donc des centaines de moutons et remplit un puits entier de leur sang. Les esprits entourent le puits en foule. Il voit Achille, Ajax. Mais Odysseus les maintient à distance jusqu'à ce qu'il aperçoive enfin le fantôme de Tirésias.

 

6. Les sirènes de la mort

Circé l'a averti de l'épreuve qui les attend maintenant : longer l'île des Sirènes! Elle a même dit à Odysseus ce qu'il fallait faire pour échapper à leur emprise. Les Sirènes ont des voix douces et harmonieuses qui font tout oublier à celui qui les entend et l'entraînent finalement à la mort. Les squelettes blanchis de ceux qu'elles attirent s'entassent sur leur île. En approchant de l'île des Sirènes, Odysseus distribue à son équipage de la cire pour s'en boucher les oreilles, avec interdiction formelle de l'enlever tant qu'il n'en aura pas donné l'ordre. Lui-même, Odysseus, meurt d'envie d'entendre ces voix si fameuses. Il demande à ses matelots de l'attacher solidement au mât. Et le navire va, passe et n'est pas englouti. Les voix sont tellement extraordinaires et hors de l'humain que le cœur d'Odysseus se serre de désir. Mais les cordes sont solides et le danger est conjuré.

 

7. Les gouffres et les goinfres

Un nouveau péril les attend: les gouffres de Charybde et Scylla. L'un aspire, l'autre engouffre. Grâce à Athéna, Odysseus réussit à éviter la terrible passe. Mais l'épreuve est si rude que six hommes y perdent quand même la vie. A l'escale suivante, l'île du Soleil, les hommes se conduisent avec une incroyable folie. Affamés, ils égorgent les Bœufs sacrés du Soleil pendant qu'Odysseus est absent. A son retour, en voyant que les bovins ont été égorgés, rôtis et mangés, le désespoir le prend. La vengeance du Soleil est terrible. Les navires d'Odysseus n'ont pas plutôt pris la mer qu'une tempête effroyable démonte la mer et déchiquette les navires. A l'exception d'Odysseus, tous sont noyés. Agrippé à une coque, Odysseus dérive des jours et des jours avant d'échouer dans l'île de Calypso. Il vit avec la nymphe Calypso pendant de nombreuses années parce que Calypso l'aime et qu'elle le retient prisonnier. D'épreuve en épreuve, l'odyssée pourrait durer encore longtemps, mais un jour Zeus se fâche. Il faut qu'Odysseus retourne dans son île. Ithaque a besoin de son roi. Zeus envoie Hermès dire à Calypso de rendre sa liberté à Odysseus.

 

8. Adieu Calypso.

Lugubre, Calypso entreprend les préparatifs du départ. Elle lui fait construire un radeau solide, sur lequel elle entasse des vivres et des boissons en abondance. Odysseus s'embarque sur son radeau. Il vogue pendant dix-sept jours. L ' eau est calme. Et puis Poséidon s'en mêle. Furieux de voir que les autres dieux ont eu pitié d'Odysseus, il déchaîne une tempête qui disloque le pauvre radeau. Tous les vents luttent ensemble: celui de l'Est contre celui du Sud, et celui de l'Ouest contre celui du Nord. Mais non loin de là se trouve une gentille déesse, Ino, qui a pitié d'Odysseus. Elle prend la forme d'une mouette et le soutient à la surface de l'eau jusqu'à ce qu'il se retrouve échoué sur une terre inconnue. Le soir tombe. Pas une maison, pas une créature vivante. Odysseus se fait un lit de branchages et il s'endort paisiblement.

 

9. Poséidon: finie la récréation !

Quelle n ' est pas sa surprise en s'éveillant le lendemain matin de voir, à quelques mètres de lui, de ravissantes jeunes filles en train de jouer au ballon! Il les regarde longtemps, caché derrière un buisson. Et puis, au moment où les jeunes filles repartent, brusquement, il sort de derrière son buisson et se montre à la dernière: " Je suis un pauvre naufragé ", dit le grand héros. Mais il est surtout nu, hirsute et son air sauvage commence par faire peur à Nausicaa, car tel est son nom. Sa première frayeur passée, elle lui apprend qu'il n'aurait pas pu mieux tomber qu'ici, chez le roi Alcinoos, son père, qui est l'ami des pauvres et des naufragés. Nausicaa et Odysseus rentrent donc ensemble au palais où un doux accueil achève de lui donner l'impression que les dieux ont finalement décidé de lui accorder la paix...

 

10. Échouer mais ne pas échouer

Odysseus, à califourchon sur ce qui reste du bateau, échoue sur la rive d'Ithaque. Encore tout ébranlé par ce qu'il vient de vivre, il tourne et retourne la tête dans tous les sens: il ne reconnaît pas ce pays. Là, il faut bien le dire, Odysseus est pris de désespoir, il gémit, se frappe les cuisses. " Quel est donc ce pays ? " Enfin voici venir un berger jeune et beau, qui lui dit qu'il est bien à Ithaque et lui demande; lui, l'étranger, qui il est et d'où il vient. Et Odysseus qui, après toutes ses aventures, a bien compris qu'il ne fallait pas dire exactement la vérité, raconte, mais en détail, un énorme mensonge... Le berger l'écoute en souriant, et quand Odysseus relève la tête, son histoire finie, il reconnaît si bien ce beau sourire lumineux qu'il rougit et a honte. Athéna, car c'est elle, lui dit: " Allons! Toujours aussi rusé, à ce que je vois! " Elle lui conseille alors de ne pas rentrer tel qu'il est dans Ithaque. Il s'est passé beaucoup de choses en son absence, et en particulier un assaut de prétendants qui convoitent à la fois la main de sa femme Pénélope, et le trône d'Ithaque. .Ils sont sur le point de mettre leur plan a exécution. Odysseus arrive au bon moment. Athéna le transforme en un vieux mendiant... Elle lui conseille de passer la nuit chez Eumaios, son porcher, un serviteur fidèle et discret. Puis Athéna disparaît.

 

11. Tel père, tel fils, Télémaque

Le lendemain matin, Odysseus a l'esprit plus clair; voilà que Télémaque, son fils qu'il n'a pas vu depuis vingt ans, entre dans la cabane d'Eumaios ! Tous les trois mangent ensemble, en silence, le repas du matin, et puis Eumaios sort pour nourrir les cochons. Le père et le fils sont seuls. Athéna apparaît à la porte. Elle fait signe à Odysseus de la rejoindre, et lui rend sa vraie forme. Alors Télémaque reconnaît son père Odysseus et ils se jettent dans les bras l'un de l'autre. C'est seulement après avoir pleuré longuement qu'ils décident ensemble d'un plan d'action pour chasser les prétendants amassés dans le palais. Le lendemain matin, ils partent tous les trois pour le palais. Odysseus a retrouvé ses traits de vieillard et Eumaios ne sait toujours pas qui il est. Juste à l'entrée du palais, un chien se précipite autour d'Odysseus. Il saute, bondit, lèche les mains d'Odysseus qui en a les larmes aux yeux : c'est son chien, Argos, qui l'a reconnu.

 

12. Le mendiant et les prétendants

Odysseus arrive à la porte de la grande salle des festins. Les prétendants sont là, nombreux, grossiers, ivres déjà et brutaux. Ils s'en prennent aussitôt à ce mendiant dépenaillé, l'insultent, lui crachent au visage. Odysseus bout intérieurement. Mais il sait que l'heure n'est pas encore venue. Et puis l'un des prétendants lui lance un tabouret en plein visage. Cette fois... Non, non pas encore! C'est Athéna qui lui souffle ce conseil. Et encore Athéna qui fait, à ce moment précis, entrer Pénélope au grand cœur. Elle dit, pénélope, qu'elle parlera elle-même à ce vieil homme, si mal reçu dans sa propre maison, et le fait venir dans ses appartements. Et lui, raconte. Il raconte qu'il a été à Troie et qu'il a vu de ses yeux Odysseus... Alors Pénélope verse de tristes larmes. Elle ordonne qu'on lave les pieds de l'étranger. Et la nourrice Euryclée vient avec un grand bassin d'or rempli d'eau, et s'agenouille, et prend dans ses deux mains le pied du mendiant... et retient un cri: elle a reconnu la blessure, unique entre toutes, qu'Odysseus a eue d'un sanglier, il y a bien longtemps. Odysseus lui fait comprendre d'un geste qu'elle devait se taire. Rien n'a encore filtré du secret. Quelques heures plus tard, les prétendants sont de nouveau dans la grande salle, à ripailler. Pénélope leur a réservé une dernière épreuve. Après cela, elle ne pourra plus reculer, il faudra qu'elle épouse l'un d'entre eux. Cela fait vingt ans qu'elle tisse une toile et ,qu'elle la détisse chaque nuit, avec promesse qu'elle se mariera quand la toile sera finie...

 

13. L'arc du triomphe

Cette fois, elle a fait sortir le grand arc d'Odysseus qui était rangé dans un placard. Elle se tient sur le pas de la porte. Télémaque est près d'elle. " Celui qui pourra tendre cet arc... je le suivrai! " Pénélope a la mort dans l'âme, et les prétendants ont la joie au cœur. Un jeu d'enfant! pense chacun. Et vient le tour du premier, puis du deuxième, puis du troisième... Aucun ne parvient à tendre l'arc. Télémaque sourit dans son coin. Voici le septième, que de sueur au front! Un huitième, que de rugissements poussés! Un neuvième, un dixième, toujours rien! A présent, Télémaque a repris l'arc. " Que l'étranger essaie à son tour! " Grondement parmi les prétendants : " Quoi! Ce lamentable vieillard! "
Et le lamentable vieillard prend l'arc, et se redresse. Et en vérité, sous le visage fané, la stature est bien belle. Il tend l'arc, encore, encore ! Et puis il crie: " Enfin! " Et en même temps, on entend un autre cri au fond de la salle. Un cri d'agonie. Le chef des prétendants vient de tomber, transpercé. Une autre flèche part. Un autre prétendant tombe. Et puis un autre, et encore un autre. Ça n'arrête plus. Chaque flèche tue. Ils ont bien essayé de bondir sur leurs armes, mais Télémaque a pris soin de les cacher. Le carnage est total. Odysseus tue tous les prétendants à l'exception de l'Aède : comme il possède l'art divin de chanter, il lui pardonne d'être en vie, mais pas d'avoir chanté pour ses rivaux; alors il le jette dehors.

 

14. Pénélope: enfin !

Le carnage achevé, Euryclée et ses servantes font disparaître les traces de sang et reluire la maison. Odysseus s'assoit maintenant dans le fauteuil à pattes de lion qui a toujours été le sien. Il est silencieux et regarde le feu qui flambe dans la grande cheminée. Pénélope arrive doucement. Pénélope est derrière le fauteuil, debout. Sans un bruit, elle s'assied en face de lui, et le regarde, le regarde. Elle ne le reconnaît pas. Elle ne peut pas le reconnaître. Alors Odysseus dit à son grand fils de les laisser seuls, et il prend dans ses bras la femme aimée de son cœur, et là, par-dessus vingt années de silence, Pénélope et Odysseus se retrouvent.