Les mortels et les dieux

 

 

Les yeux d'Argos

ArgosUne fois de plus, Zeus est amoureux. L'élue de son cœur porte le doux nom de I0. Pour échapper à la surveillance jalouse d'Héra, Zeus vient de transformer I0 en une paisible vache blanche. Il va ainsi pouvoir jouer les candides bergers... Mais Héra est maligne. La jalousie lui donne une seconde vue! Elle a tout compris. Elle prend la vache I0 sous sa houlette et la met dans son propre troupeau, et sous bonne garde: le berger n'est autre qu'Argos, l'homme aux cent yeux qui voit dans cent endroits à la fois.

Zeus est furieux. Il charge son ami et messager Hermès d'aller voler sa belle vache blanche. Car Hermès, patron des facteurs, est aussi celui des voleurs. Mais tromper Argos, et cent yeux, c'est une autre histoire. Après avoir réfléchi à la solution la plus avantageuse pour tout le monde, et la moins douloureuse pour Argos car au fond Hermès est gentil il finit quand même par l'assommer et lui trancher la tête. Puis il délivre I0. Mission accomplie pour son maître Zeus.

En représailles, Héra lance à la poursuite de I0 un taon monstrueux, qui oblige la pauvre vache à cavaler sans répit à travers le monde. Puis, signe d'hommage, elle arrache les yeux de la tête de son fidèle berger Argos et les place sur la queue de son paon favori, où l'on peut encore les voir si on a la patience de compter ...

 

Syrinx en concert

PanPauvre Syrinx! Qui pourrait deviner que ce roseau gémit et se lamente ? Qu'il est en réalité une femme, une nymphe... Pour échapper au sauvage, grossier et, il faut bien le dire, un peu fou dieu Pan en tout cas fou amoureux d'elle tous les moyens sont bons. Syrinx s'est transformée en roseau. Et parmi tous les roseaux, Pan ne sait plus lequel est sa bien-aimée. Alors, le cruel, il s'apprête à les couper tous. Et dans un instant, faute de pouvoir faire de Syrinx sa femme, il va en faire... une flûte, la fameuse " flûte de Pan ".

 

 

 


L 'hallali d' Actéon

Il ressemble à un cerf, mais c'est un bien malheureux mortel. Il adorait la chasse et passait son temps à courir les champs et les bois. Un jour, assoiffé et hors d'haleine après la longue poursuite d'un animal sauvage, il est entré dans cette grotte pour se rafraîchir .Mal lui en a pris! Artémis y était avant lui, et Artémis n'aime pas les hommes. Elle s'y baignait et elle était nue. De rage d'avoir été vue par un homme, un mortel de surcroît, elle l'a aspergé de quelques gouttes de sa main mouillée. Cela a suffi pour le transformer en un cerf splendide que les chiens ont aussitôt poursuivi comme un animal sauvage. Dans un instant, Actéon va mourir, horriblement déchiqueté par les dents de ses chiens.

 

Ganymède, le beau du ciel

Ganymède, vous êtes trop beau! Trop beau pour être vrai, trop beau pour être un homme. Trop beau en tout cas, pour rester avec les mortels. Zeus l'a-t-il vouvoyé, quand il a ainsi pensé à Ganymède ? On ne le sait pas. En bref, Ganymède, fils du roi de T ros qui donna son nom à la ville de Troie, trop beau pour les hommes, est assez beau pour les dieux. Et Zeus, le plus grand de tous les dieux, l'a voulu pour lui tout seul.
Il veut en faire son échanson. Comme il n'est pas du tout sûr que Ganymède sera d'accord, il s' est transformé en un grand aigle, et de ses puissantes serres, le voilà qui enlève le beau Ganymède pour l'emmener avec lui sur l'Olympe. Zeus l'a tellement aimé que lorsque Ganymède est mort, il a placé son image dans les étoiles : la constellation du Verseau, le bel adolescent qui verse de l'eau.

 

Le choix fou de Clytie

ClytiePour une fois, l'histoire est à l'envers: Clytie est une jeune fille mortelle amoureuse d'un dieu, et non le contraire! Pauvre Clytie, elle n'a pas choisi n'importe qui: elle aime, elle adore, tout simplement... le Soleil, Hélios! Assise sur le pas de sa porte, voilà des jours, et des semaines, et des mois, qu'elle lève à toutes les aubes son visage, et regarde le Soleil dans sa course au long du ciel, et se morfond à longueur de jour. A la fin, de se sentir ainsi si constamment suivi du regard, Hélios qui pourtant n'a pas beaucoup de pudeur et ne rougit qu'aux dernières extrémités, s'est agacé. Il a changé Clytie en fleur. C'est le tournesol... ou héliotrope.

 

 

 

 

Daphné: fleurs et couronnes

Daphné et ApolonDaphné la belle nymphe vient de courir des heures entières, peut-être même des jours, poursuivie par Apollon. Elle est hors d'haleine, elle n'en peut plus. Apollon est amoureux d'elle, et comme tous les dieux, quand il veut quelque chose, il l'obtient. Il aura de Daphné par la force puisqu'elle ne veut pas de lui. I1s ont couru, couru... I1s sont maintenant au bord du fleuve Pénée, et Pénée, le dieu fleuve, est le père de Daphné. Daphné sent le souffle du dieu sur sa nuque. Elle crie: " Père, sauve-moi ! " Est-elle perdue ? Est-elle sauvée ? Tout à coup une torpeur la prend, elle sent que ses pieds s'enracinent dans le sol. Une écorce l'enveloppe, le bout de ses doigts s'allonge en branches, en feuilles... Elle s'est transformée en laurier. Elle a pris racine! Apollon est atterré, c'est le cas de le dire... Pour se consoler, il décide de faire de Daphné son arbre, du laurier sa gloire et son bonheur. Et voilà pourquoi, Apollon porte toujours sur la tête une couronne de laurier. Et aussi les gagnants des concours, les diplômés, les premiers aux distributions de prix, les... lauréats !
Les lauriers de la gloire ne sont que des feuilles de Daphné l'effarouchée !

 

Tithon et Aurore

Qui pourrait croire que cette cigale a d'abord été un homme jeune, beau et bien fait ? Il fut le grand Tithon, mari d'Aurore, la Reine du Jour, la déesse au front étoilé. Il eut tout pour lui... sauf une chose: la divinité. Simple mortel, Aurore l'aima tant qu'elle supplia Zeus de lui donner l'immortalité, afin de rester avec lui pour toujours... Pauvres Tithon et Aurore! Aurore aurait mieux fait de ne rien demander. Car elle a oublié de préciser: avec une éternelle jeunesse. Et Tithon devient vieux, vieux, de plus en plus vieux, affreusement vieux, sans toutefois parvenir à mourir ! Il n'a même plus la force de lever un pied ou une main. Sa fin n'en finit pas, n'en finira jamais ! Tithon appelle la mort à grands cris mais en vain. Enfin Aurore qui n'a jamais arrêté de l'aimer malgré sa pauvre apparence soulage sa misère: elle le transforme en cigale. Et comme la cigale recommence chaque jour à chanter avec la chaleur du jour, Tithon redevient pour toujours le compagnon de la Reine du Jour.

 

L'enterrement des Héliades

PhaétonPhaéton est mort ! Hélas! La plaine tout entière retentit d'un long gémissement. La terre elle même en est si douloureuse qu'elle n'étanche plus les eaux de la tristesse, qu'elle en devient marécage, sables et pleurs confondus... Et la rivière Eridan, dans laquelle est tombé le jeune homme mort, a subitement grossi d'un sanglot qui l'a fait sortir de son lit.
Mais la douleur la plus profonde est sans doute celle des sœurs de Phaéton, les Héliades, filles du Soleil. En se penchant pour se couvrir le visage de terre, l' aînée sent ses pieds comme rivés au sol. En s'arrachant les cheveux de désespoir, la ,seconde trouve des feuilles au bout de ses doigts... En se tordant les bras de douleur, la troisième les transforme en une branche noueuse... Leurs corps desséchés de tristesse se couvrent d'une écorce, leurs mains sont maintenant de tendres rameaux. Il reste encore la bouche, les lèvres, pour appeler Phaéton, le lumineux frère mort, si tendrement aimé: " Phaét... ! " C'est fini, l'écorce vient d'étouffer leurs dernières paroles.

Les Héliades ne laisseront plus jamais couler de larmes salées... mais des pleurs couleur de miel ! Un suc d'or maintenant, que le soleil, goutte à goutte, rend solide comme de la perle: regardez l'ambre pur couler des saules pleureurs! Un être, un seul, assiste à ce prodige: Cygnos, frère des Héliades, cruellement atteint, lui aussi, par la mort de son demi-frère Phaéton.

Cygnos était roi de Ligurie quand la terrible nouvelle lui est parvenue. Il gémit très fort. Et soudain, sa voix s'affaiblit, des plumes blanches cachent ses cheveux, son cou s'allonge, ses doigts rougissent et de fines membranes les relient. Il regarde ses flancs, couverts d'un plumage blanc, sa bouche est maintenant un bec sans pointe. Cygnos est devenu oiseau. Un oiseau nouveau, inconnu jusqu'alors -le cygne. Un oiseau qui ne se fie ni au ciel qui a vu mourir son frère, ni à Zeus qui l'a injustement frappé de son feu. il gagne les étangs, les vastes lacs, les rivières, et plein de l'horreur du feu, il choisit pour séjour les fleuves, ennemis de la flamme...
il est pour l'éternité l'oiseau rare, l'oiseau blanc de la dernière heure, le sauvage à la tendre plainte... L'oiseau du chant du cygne.

 

Aréthuse préfère l'eau à l'amour

Les dieux parfois s'engagent dans des aventures si compliquées que les récits de leurs exploits le deviennent également. L'eau a ses nymphes, les naïades. Les fleuves ont leurs dieux. Voici donc qu'Alphée, dieu du fleuve qui porte son nom, se sent terriblement attiré par Aréthuse, compagne d'Artémis, qui se baigne dans ses eaux, fatiguée d'une longue partie de chasse. Aréthuse a peur de l'amour. Elle s'enfuit, effrayée par ce dieu qui la poursuit comme un torrent de désir. Epuisée, la naïade supplie Artémis de la sortir de là et... de l'eau. Un nuage l'enveloppe alors. Alphée croit la saisir, mais la nymphe nue est devenue nuée. Le récit ne s'arrête heureusement pas sur cette triste image. Certains racontent que la naïade devint source et qu'Alphée mélangea ses eaux aux siennes. D'autres affirment que la terre s'entrouvrit, qu'Aréthuse coula dans les entrailles de la terre et qu'elle parvint jusqu'à Syracuse, en Sicile, et de là, se mêlant à la mer, atteignit 1'ile d'Ortygie.


Pour Midas, des oreilles d'âne

MidasMidas, roi de Phrygie, roi très riche, serait peut être aussi un roi puissant s'il n'était pas si bête, il faut bien dire le mot. Sa bêtise, il en a déjà fait la preuve éclatante en souhaitant un jour que tout ce qu'il touche se changeât en or! Souhait accordé par Dionysos qui ne rate jamais une occasion de montrer aux hommes à quel point ils sont petits, mortels et incapables de voir plus loin que le bout de leur nez... Bien sûr que Midas a failli mourir ! Lui ayant bien mis le nez dans son... or, Dionysos a eu la gentillesse de le relever de son vœu irréfléchi. Mais au moment où commence cette nouvelle histoire, Midas ne réfléchit pas vraiment plus.

Il vient d'être choisi pour arbitrer un concours de musique entre Apollon et le satyre Marysas. Chacun sait que personne au monde ou ailleurs ne peut rivaliser avec Apollon quand ses doigts légers effleurent la lyre. Chacun sait d'autre part que jamais au grand jamais on ne prend le parti opposé d'un dieu... Midas, non. Il ne sait pas, ou il a oublié. Il déclare tout haut, très sûr de lui, qu'il préfère la musique de Marysas ! Aussitôt, deux oreilles lui poussent, poussent, jusqu'à devenir des oreilles d'âne... Apollon qui ne manque pas d'esprit a simplement dit qu'il ne faisait que donner la bonne forme à des oreilles si bêtes... Pauvre stupide petit roi! On a sa fierté quand même, nom d'un roi! Il va réussir assez longtemps à dissimuler ces ridicules oreilles à son peuple en s'affublant d'un bonnet.

Mais une personne, au moins, connaît le secret: son coiffeur. Un coiffeur qui n'a pas assez de tête pour garder en lui tout seul ce lourd secret. Alors, pour se soulager, il creuse un trou dans la terre, dans la plaine juste en dehors de la ville, il penche son visage dans la terre, et il dit à la terre: " Le roi Midas a des oreilles d'âne. ". Et la terre le dit aux roseaux, et les roseaux le disent au vent, et le vent le dit à l'herbe, qui le dit aux sabots des chevaux dont les cavaliers reviennent au grand galop vers la ville... Maintenant, la terre entière connaît le secret du pauvre brave mais un peu bête roi Midas, roi de Phrygie. roi très riche.

 

Pour Arachnè, un fil pour se pendre

Attention, danger! Ne jamais se prétendre l'égal des dieux. Ils sont toujours les meilleurs, qu'on se le dise! Arachnè, la petite fileuse, la petite mortelle toute simple, l'a compris trop tard. Elle savait bien, elle, qu'elle était la meilleure fileuse du monde, et même de l'univers tout entier, Olympe compris. Puisqu'elle le savait, elle le disait: " ... meilleure qu'Athéna, mais oui! " Et d'oreille en oreille, ce bruit est arrivé jusqu'à celles d'Athéna... Ulcérée, la déesse qui sait tout faire de ses mains, Athéna, l'ingénieuse en chef, est venue trouver Arachnè, la petite paysanne, et l'a mise au défi.

Elles se sont installées toutes deux devant un métier et elles ont commencé à tisser. Dieux, que c'est beau, ce qui jaillit de leurs doigts! Tant de fils d'or et d'argent, tant de rouge... Elles terminent au même instant. Mais personne au monde ne pourrait contester la vérité: la toile d'Arachnè est encore plus merveilleuse, plus magique, plus divine que celle d'Athéna. Folle de colère, Athéna déchire la toile d'Arachnè ! Et ce n'est pas tout : elle assomme Arachnè d'un violent coup de navette ! Et elle remonte dans l'Olympe cuver son dépit...

Quand Arachnè revient à elle, Athéna n'est plus là. Mais Arachnè est si humiliée que de douleur elle se pend à son propre fil. Alors, alors seulement, Athéna qui au fond n'est pas une mauvaise fille, a de violents remords: elle transforme Arachnè en araignée, pour qu'elle garde à jamais son habileté " arachnéenne " à tisser ...L'histoire ne dit pas si Arachnè trouva cette fin à son goût.

 

Pour Niobé, des massacres en série

Malheureuse Niobé! Ces corps transpercés sont ceux de ses enfants. Sept garçons et sept filles, tous beaux, toutes belles. Trop beaux, peut-être, trop belles! La reine Niobé en a eu la tête tournée. Mais il est vrai que pour l'orgueil, Niobé a de qui tenir! Elle est fille de Tantale, l'insensé qui a voulu se jouer des dieux et qui, pour tant de morgue, souffre un éternel et terrible supplice aux Enfers. Niobé avait tout pour elle. Elle était riche, elle était reine de Thèbes, puissante et de grande naissance. Elle avait les plus beaux enfants du monde.
Elle s'est crue assez forte pour défier les dieux, elle aussi. Folle Niobé! Elle a ordonné aux Thébains de lui rendre un culte. A elle, Niobé, une mortelle. " Offrez-moi des sacrifices dans le temple de Léto! " a-t-elle dit. Les mots insolents proféré par des mortels sont toujours entendus dans le ciel et toujours punis. Et voilà Apollon et Artémis qui glissent comme les nuages, .de l'Olympe jusqu'a Thèbes. Léto est leur mère à tous deux, c'est à eux de punir l'offense. Ils arrivent en vue du palais, ils bandent leurs arcs. Apollon tire sept fois et tue sept fois : tous les garçons. Artémis, aussi précise que lui, transperce les sept filles.
Niobé les voit tous mourir. Elle hurle sa douleur pendant neuf jours et neuf nuits. Elle ne trouve personne dans toute la ville pour les enterrer parce que Zeus parfait la vengeance des dieux en transformant tous les Thébains en pierres. Maintenant, elle va connaître le repos. Zeus vient de la changer en pierre à son tour. Et son cœur n'est plus qu'une pierre, lui aussi. Seules ses larmes se répandent, sans pouvoir s'arrêter. Jour et nuit, à jamais, dans la ville de Thèbes, les larmes de ce rocher continuent à couler. Elles coulent encore.