Des hommes aux fleurs
On
est bien excusable de tomber amoureux de Narcisse. Il est beau, beau, beau comme
un dieu qu'il n'est pas pourtant. Puisqu'il est fils de Liriopé, la nymphe
bleue que le dieu-fleuve Céphise a un jour emportée dans ses bouillonnants
bras,.. Mais dieu qu'il est beau, ce Narcisse là! Depuis qu'il est enfant,
sa route est semée de curs brisés. Car Narcisse n'aime personne.
Parmi ses amoureuses se trouve la pauvre nymphe Écho. Écho est muette ,ou presque... Autrefois il faut bien le dire, Echo était une incorrigible bavarde. Une bavarde de génie puisque par ses histoires sans fin elle parvenait à retenir l'attention d'Héra pendant que Zeus s'ébattait gaiement avec les autres nymphes amies d'Echo... Héra s'est cruellement vengée, comme à son habitude: elle a condamné Echo à ne plus pouvoir se servir de sa voix que pour répéter servilement les derniers mots qu'elle entend...
Un jour donc, Echo, follement amoureuse de Narcisse, le suit dans la profondeur
de la forêt, dévorée du désir de lui adresser la
parole, incapable de lui parler la première... Et Narcisse se perd. Il
se met à crier: Holà! y a-t-il quelqu'un ici ?
-Ici! reprend Écho. Ce qui surprend Narcisse car il ne voit personne.
-Viens! crie Narcisse.
-Viens !
-Rejoignons-nous !,
-Rejoignons-nous ! répète Echo qui sort de sa cachette, toute
heureuse, et se précipite pour embrasser Narcisse. Mais il la repousse
brutalement. Et il s'enfuit.
-Je mourrai plutôt que d'être à toi !
-Être à toi !. implore Echo. Mais Narcisse dans les vallons abandonnés,
se languissant d'amour et se laissant dépérir, au point que seule
sa voix subsiste, et si on l'appelle, on l'entend encore tant sa peine est profonde.
Narcisse, lui, poursuit sa carrière cruelle. Mais un jour, une de celles
qu'il a blessées adresse aux dieux une prière : " Que celui-là
qui n'aime aucun autre s'éprenne de lui-même ! " La grande
Némésis, déesse de la juste colère, se charge de
mener ce vu à bien. Un jour, à Thespies, Narcisse voit une
source. Elle est claire, argentée et n'a jamais été touchée
par des oiseaux, ou des bêtes sauvages, ni même par des branches
tombées des arbres. Un vrai miroir... Comme Narcisse, épuisé
de fatigue, se laisse tomber au bord de cette eau, il y aperçoit son
image reflétée. Il commence par essayer de saisir et d'embrasser
le beau jeune homme qui lui fait face, mais il se reconnaît lui-même
et, transporté d'amour, il reste là, couché, pendant des
heures, à regarder l'eau. Comment supporter à la fois de posséder
et de ne pas posséder ? Miné par le chagrin et tout à la
fois fasciné par sa propre image, il ne peut s'en détacher. Il
languit et dépérit, et sait que seule la mort pourra le libérer.
Alors il se plonge un poignard dans la poitrine. Et quand la mort arrive, et
qu'il se dit " Adieu! ", on entend une, voix non loin de lui : "
Adieu I Adieu! " C'est Echo, comme une dernière plainte... Son sang
s'écoule dans la terre, mêlé aux larmes d'Echo et il naît
un narcisse blanc à corolle rouge.
Hyacinthe vient de mourir. Quel malheur ! Quelle tristesse! Apollon l'aimait. Mais le vent d'Ouest aimait aussi Hyacinthe et il était jaloux d' Apollon. Alors, un jour qu' Apollon et Hyacinthe s'amusaient ensemble à lancer le disque, le vent d'Ouest adonné un grand coup, comme il sait le faire. Il a saisi au vol le lourd disque de bronze et l'a violemment abattu sur la tête de Hyacinthe.
Et le beau Hyacinthe gît là, tout ensanglanté. Mort. Apollon est au désespoir. Il se lamente ; il dit: " Mon bel ami, que ne puis-je mourir aussi! " Et pendant qu'il parle et pleure et se tord les mains, voici que l 'herbe tachée de sang se met à reverdir. Voici qu'une fleur merveilleuse apparaît. Grande, noble, rouge sang. Fière et droite sur sa tige. C'est la jacinthe, celle qui pousse dans les montagnes caillouteuses de la Grèce.
" Beau comme Adonis " ! Mais personne, jamais, jamais, n'a été ni jamais ne sera aussi beau qu'Adonis ! Il est si beau que la déesse de l'Amour elle-même l'aime. Aphrodite, oui, elle! Elle l'a vu naître et l'a aimé dès l'heure de sa naissance. Comme elle n'est pas très maternelle, elle l'a porté à Perséphone pour qu'elle l'élève, mais la reine des Enfers s'est mise elle aussi à l'aimer. Aphrodite et Perséphone se sont disputé Adonis, chacune le voulant pour elle toute seule, car les immortelles déesses sont mortellement jalouses. Heureusement, le grand Zeus a tranché: Adonis appartiendra à Perséphone l'automne et l'hiver, à Aphrodite le printemps et l'été. Adonis, lui, n'a pas vraiment eu son mot à dire.
Adonis aime chasser. Aphrodite, pour lui faire plaisir, s'habille en chasseur
et l'accompagne dans ses longues courses en forêt. Mais un jour... le
destin attend Adonis au plus profond de la forêt. Il l'attend sous la
forme d'un terrible sanglier aux défenses acérées. La bête,
blessée par les flèches d'Adonis, folle furieuse, le charge, le
transperce de part en part. Lentement, Adonis couché sur l'herbe verte
se vide de son sang. Une source rouge, mêlée des pleurs d'Aphrodite,
mouille la terre où Adonis se meurt. Et à l'instant même
de ce soupir de mort surgit de la terre une fleur rouge carmin, au pistil noir
comme du velours. C'est l'anémone. Pendant des siècles désormais,
chaque année, les jeunes filles de la Grèce pleureront sa perte
à la fin du printemps, et chanteront sa naissance, sa tige naissante
et son bouton fragile dans les champs verdissants de la toute fin d'hiver.