Saint Louis
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Le
prestige que valent à Louis IX ses vertus sajoute à
celui quil tire dune succession héréditaire jusque-là
sans faille, dun sacre qui fait de la royauté une sorte de
sacerdoce, et dune puissance solidement établie par lénergique
Philippe Auguste, son grand-père. Il en profite pour placer plus
catégoriquement la monarchie hors de la pyramide des droits féodaux
et non plus seulement au sommet de celle-ci et pour assainir
la situation politique du royaume. Les actions les plus spectaculaires sont
celles quil mena pour mettre un terme aux conflits qui venaient de
déchirer la France : conquête du Midi languedocien par les
croisés septentrionaux, lutte des Capétiens contre les Plantagenêts.
Après une ultime révolte du comte de Toulouse Raymond VII, ce fut, avec le traité de Lorris (1243), la soumission définitive de la France méridionale et la confirmation de lorganisation nouvelle du Languedoc, dont la reine Blanche et le cardinal de Saint-Ange avaient jeté les bases en 1229. La grâce de quelques grands feudataires et lécrasement des derniers cathares, laction des sénéchaux royaux et celle des inquisiteurs dominicains assurèrent luvre. Déjà mâtés par la régente, les autres grands barons se le tinrent pour dit. Cependant, une dernière tentative du roi dAngleterre et de ses fidèles échouait en 1242 à Taillebourg et à Saintes ; bien quayant lavantage, Louis IX préféra une paix qui satisfaisait son sens de la justice et ménageait le pieux Henri III quil estimait.
Au
traité de Paris (1258-1259), il rendit à ce dernier une partie
des terres (du Limousin et du Quercy à la Saintonge) dont il nétait
pas assuré que la conquête ait été légitimement
fondée. Par de telles concessions, Saint Louis pensait avoir assuré
la paix, la fidélité de son royal vassal et lappartenance
définitive à la couronne de France de lessentiel de
lhéritage des Plantagenêts : Normandie, Anjou, Touraine,
Maine et Poitou. Le domaine royal était sensiblement amoindri par
les apanages quavait prévus Louis VIII en faveur de ses fils.
Force était donc de clarifier la gestion et dexploiter au mieux
les revenus seigneuriaux : ce fut lobjet dune rationalisation
des structures administratives, de létablissement des baillis
dans des circonscriptions fixes, de la spécialisation des membres
de la cour royale (une section judiciaire, le Parlement, et une section
financière, les « gens des comptes »). Afin dassainir
les rapports avec les administrés, Saint Louis multiplia les enquêteurs
chargés dentendre sur place les plaintes et de réformer
les abus. Lintérêt politique rejoignait là le
souci constant du roi de voir les droits de chacun respectés, et
en premier lieu par les officiers royaux eux-mêmes. Une certaine tendance
à lunification manifestait déjà lemprise
du souverain sur tout le royaume. Il faisait reconnaître son droit
à légiférer. Plus efficace dans la pratique fut laction
unificatrice qui résultait de lapplication à tout le
royaume dune justice dappel.
Cest encore pour clarifier, unifier et faire reconnaître partout la prééminence royale que Louis IX décréta (1263-1266) que sa monnaie, au contraire de celle des barons, aurait cours dans tout le royaume. La réforme de la monnaie royale, avec la création dune grosse monnaie dargent, le « gros tournois » valant douze deniers, assura le succès de lentreprise. Saint Louis étendit sa protection sur tous les groupes sociaux capables de faire contrepoids aux puissances qui concurrençaient la sienne. Sil soutenait les évêques contre les féodaux et même contre le pape, il donnait son appui aux universitaires et aux ordres mendiants, Dominicains et Franciscains, contre lépiscopat et le clergé séculier. Il protégeait également lindépendance des villes contre leurs seigneurs, mais nhésitait pas à faire intervenir ses officiers dont la gestion interne des municipalités pour limiter les abus financiers des oligarchies urbaines ; cette attitude était rien moins que désintéressée, car la richesse et la bonne gestion des villes garantissaient une part importante des revenus du roi.
Dès
le début de son règne personnel, Saint Louis manifesta une
fermeté et une sagesse qui le firent respecter en Europe, au point
que ses refus et ses échecs eux-mêmes servirent sa réputation.
Il refusa pour ses frères la couronne dAllemagne (1240) et
celle de Sicile (1253). Il tenta de mettre fin à lhostilité
de Frédéric II envers Innocent IV. Plus tard, pris comme arbitre
par Henri III et ses barons, il prononça en faveur du roi le «
dit » dAmiens (1264), que les barons anglais nacceptèrent
pas ; deux fois croisé, il aboutit à deux échecs flagrants.
Et, pourtant, il reste pour la postérité le roi croisé,
et les barons anglais en appelèrent derechef à larbitrage
de ses conseillers. Il fit céder plusieurs fois Frédéric
II et protégea le pape sans adhérer pour autant à la
politique guelfe, il assainit les relations de la France et de lAragon
sans abandonner lalliance castillane et il favorisa en définitive
les ambitions de Charles dAnjou. Il avait rapporté de la croisade
une véritable auréole.
Très sensible aux difficultés de lOrient latin, il avait, dès 1241, aidé lempereur byzantin Jean de Brienne en lui achetant fort cher les reliques de la Passion, pour lesquelles il fit construire dans son palais la « Sainte-Chapelle ». Depuis, il préparait la croisade et, voulant frapper au cur la puissance musulmane, sétait embarqué (28 août 1248) pour lÉgypte. Vainqueur à Damiette (1249), mais vaincu et pris à Mansourah (1250), il dut verser rançon pour gagner la Syrie franque où il passa quatre ans à réorganiser ladministration et le système défensif qui assura quelques décennies de survie à lOrient latin.
Dans
le même temps, parce quil croyait à lintérêt
dune alliance pouvant prendre lIslam à revers, il nouait
des relations diplomatiques assez illusoires avec le successeur de Gengis
khan, Qubilaï. À son retour, il était en état
dintervenir efficacement dans les conflits qui opposaient les grands
barons, voire les princes étrangers. Il sentremit entre Flandre
et Hainaut (« dit » de Péronne, 24 sept. 1256), entre
Navarre et Bretagne, entre Bourgogne et Chalon, entre Bar et Lorraine, entre
Savoie et Dauphiné. Poursuivant lhabile politique matrimoniale
de Blanche de Castille, grâce à qui Alphonse de Poitiers, frère
du roi, régnait sur le comté de Toulouse, Saint Louis avait,
dès 1246, obtenu pour son autre frère Charles dAnjou
la main de lhéritière de Provence. La conjonction des
manuvres dUrbain IV et des ambitions de Charles conduisit le
roi à accepter que son frère reçût la couronne
de Sicile (1266). Cette intervention capétienne en Italie, qui allait
impliquer la France dans la politique guelfe, est également responsable
en partie des erreurs de la croisade de 1270. Mal conseillé, semble-t-il,
par son frère qui souhaitait garantir les relations économiques
entre la Sicile et Tunis, ignorant lui-même la situation interne de
lIslam et peu secondé par des barons qui naspiraient
guère quau repos, Saint Louis prit la décision malheureuse
dattaquer Tunis. Bien plus, laide de Charles fit cruellement
défaut : trop occupé en Italie, le frère du roi et
ses barons narrivèrent en Afrique quaprès la mort
de Louis, survenue le 25 août 1270. La force dâme du roi
mourant, dans un camp ravagé par la peste, fit plus pour sa renommée
que neût fait une éphémère victoire.