Émigration bretonne en Armorique

 

Depuis le IVe siècle, tout le nord-ouest de notre pays, qu'on désignait du nom d' Armorique, semble avoir vécu dans un état continuel de révoltes; les contemporains se sont servis du terme énigmatique de " bagaude " pour désigner les vagues de rébellion qui agitaient ce pays. En fait, une partie du bassin de la Loire échappait à l'action du gouvernement impérial. Les Bretons du Cornwall et du pays de Galles qui fuyaient leurs envahisseurs, Angles et Saxons et aussi Scots d'Irlande, ont profité de ce désordre anarchique pour débarquer dans la péninsule armoricaine, alors peu peuplée, et y chercher refuge. Ils s'y sont installés et ont colonisé ce pays presque désertique. Ils lui ont imposé leur langue, le breton, dialecte apparenté au gallois, qui a supplanté le latin vulgaire. Le territoire où ils se sont établis est devenu la Bretagne depuis leur occupation. Ces Bretons étaient déjà chrétiens lorsqu'ils ont émigré sur le continent, et, pour satisfaire à leurs besoins religieux, ils ont fait venir de leur patrie d'origine des prêtres, qui, pour la plupart, étaient des moines.
L'organisation ecclésiastique créée par ces émigrants s'est conservée à travers les siècles. Les noms de nombreuses paroisses, tels que Ploufragan, Pluméliau, Ploërmel où le nom du fondateur de l'église (Fracan, Méliau, Armel) est accolé au mot breton plou, traduction du latin plebs sont significatifs; ils attestent la reconnaissance du peuple breton pour ses vieux missionnaires.


A quelle époque a eu lieu cette émigration ? Au milieu du V siècle. Il semble qu'elle était achevée en 461, car on relève la souscription d'un évêque des Bretons parmi celles des prélats qui ont assisté au concile de Tours, tenu au cours de cette année. En revanche, l'histoire elle-même de la colonisation reste obscure.
Un petit nombre de Bretons qui avaient pu échapper avec peine à la menace de l'épée abandonna le pays natal (la Grande-Bretagne), pour gagner bien à contrecœur une terre étrangère. Parmi ceux-ci, il y avait un homme illustre nommé Fracan, en qui résidait l'espoir d'une sainte postérité. Cet homme était le cousin de Catovius, roi breton, personnage qui jouissait d'une grande réputation dans le siècle. Fracan avait deux jumeaux appelés Guenoc et Jacut. Leur mère, qui portait le nom de Blanche, fut surnommée " aux trois mamelles " parce qu'elle avait autant de mamelles que de fils; en effet, la sœur ne doit pas entrer en ligne de compte dans le calcul des mamelles, parce qu'on n'a pas l'habitude de tenir par écrit la généalogie des femmes. Cet homme, étant monté sur un navire, se dirige sur l'Armorique qui était alors réputée pour posséder un espace de terre ombragé, calme et encore à l'abri de la peste. Il traversa avec quelques compagnons la mer britannique, et, grâce à une brise qui soufflait légèrement, il aborda dans un port appelé Bréhec. Il en parcourut aussitôt les alentours et, ayant découvert un domaine assez vaste qu'entouraient de tous côtés des bois et des ronces, mais qui était riche parce que la rivière dite du Sang l'arrosait, il s'y installa et commença à y vivre avec les siens dans la prospérité.


Vers la même époque, tandis que grossit progressivement le nombre de ses compagnons et qu'il nage dans l'opulence, un troisième fils, figuration de la sainte Trinité, est attendu. C'était vraiment trop peu de n'avoir que deux fils. La femme, pleine de bonheur, pressent qu'elle a conçu dans son sein; le mari, de son côté, joyeux de la grossesse de son épouse, éprouve dans son cœur une grande allégresse parce qu'il espère laisser derrière lui un héritier. Tous espèrent la venue du grand jour où naîtra l'enfant.
Enfin arriva ce jour tant désiré où une vraie lumière, souhaitée de longue date, se manifesta au pays, ce jour, dis-je, qui devait paraître plus brillant que tous les autres aux Armoricains occidentaux. Celui qui vient de naître reçoit le nom pur de Guénolé.