La domination des maires du palais
Avant de mourir, Dagobert avait recommandé sa veuve et son fils Clovis
II, son successeur en Neustrie, au maire du palais Aega. Pour le roi qui disparaissait
comme pour tous ses contemporains, le maire du palais est l'homme qui gouverne
le royaume. Le choix de Dagobert s'était porté sur un personnage
conciliant, mais qui ne lui survécut que deux années. Aega eut
lui-même comme successeur un parent de la mère de Dagobert nommé
Erchinoald : " C'était un homme rempli de douceur et de bonté,
exempt d'orgueil et d'avidité. Il ne s'enrichit que modérément
et fut chéri de tout le monde ". Ce propos d'un contemporain en
dit long sur les murs des hauts fonctionnaires mérovingiens, la
plupart cupides et sans scrupules. Tels étaient, par exemple, le maire
du palais de Bourgogne Flaochat et le patrice Willebad, de qui l'oraison funèbre
sert de conclusion à la chronique de pseudo-Frédégaire
: " Ils ont l'un et l'autre opprimé et dépouillé les
peuples par leur avidité. Ce fut le jugement de Dieu qui délivra
le pays de leur tyrannie.
En Austrasie, Sigebert III, fils aîné de Dagobert, avait confié la mairie du palais au fils de Pépin de Landen; il donnait ainsi à la fonction un caractère héréditaire, mais le nouveau maire trahit la confiance de son roi. En effet, lorsque Sigebert III mourut (656), Grimaud fit tondre et exiler en Irlande le jeune roi Dagobert II et, à la place de celui-ci, il éleva sur le trône son propre fils, nommé Childebert. Cette trahison excita l'indignation des Neustriens; ils réussirent à s'emparer de Grimaud, qui, condamné par un jugement du roi de Neustrie, périt en prison à Paris (662). L'usurpation était prématurée. Près d'un siècle s'écoulera encore avant que l'arrière-petit-fils d'une sur de Grimaud supplante le dernier des Mérovingiens; Pépin le Bref ne le fera d'ailleurs qu'avec l'autorisation du pape. Le loyalisme des Francs et surtout des Neustriens à l'égard de leurs rois est resté intact pendant trois siècles.
Ce loyalisme était indépendant du mérite des souverains.
Après avoir sévèrement condamné l'usurpation commise
par le fils de Pépin de Landen, un chroniqueur du VIII" siècle,
auteur du Livre de l'histoire des Francs, n'éprouve aucune hésitation
à porter sur le roi de Neustrie, Clovis II, ce jugement brutal: "
Ce Clovis se livrait à toutes les débauches; c'était un
fornicateur et un séducteur de femmes, un glouton et un ivrogne. "
Qu'on ne cherche pas une arrière-pensée politique pour expliquer
cette violence. Si Clovis II s'est attiré l'animosité de l'écrivain,
qui était un moine de Saint-Denis, c'est parce qu'il avait coupé
le bras du saint patron de l'abbaye, saint Denis, sans doute pour posséder
un membre du corps du martyr. En un temps où la religion s'était
matérialisée dans le culte des reliques, aucun crime ne paraissait
plus odieux.
Après la mort de Clovis II (657), sa veuvé, Baltilde, exerça
pendant quelques années la régence. Cette femme, d'origine anglo-saxonne,
qui avait été jadis une servante du maire du palais Erchinoald,
n'avait pas l'étoffe d'une Brunehaut. De gré ou de force, elle
se retira dans le monastère de Chelles, près de Paris, après
la mort de son ancien maître.