l'évangélisation de la Gaule

 

 

Origines chrétiennes:

- Un mystère enveloppe presque toujours les transformations profondes qui s'opèrent dans la vie spirituelle des peuples. La disparition de la langue gauloise et son remplacement par le latin populaire en ont été un exemple; l'évangélisation de la Gaule en est un autre, plus émouvant encore et pour l'historien plus irritant, car c'est tout l'avenir religieux de notre pays que la conversion à la religion du Christ a déterminé.
Peut-on se représenter ce qu'était la vie religieuse en Gaule sous le Haut-Empire? Des inscriptions découvertes sur son sol nous révèlent les tentatives qui ont été faites pour assimiler les vieilles divinités gauloises aux dieux romains. De cet effort tenace, mais semble-t-il artificiel, ne pouvait pas sortir une religion capable de satisfaire les besoins spirituels de la masse. Quant au culte de Rome et des empereurs, ce n'était guère qu'une manifestation idolâtrique de loyalisme politique. Le succès des divinités orientales, d'Isis, de Mithra, qui personnifiaient la terre féconde et le soleil créateur, de la Grande Mère des dieux, qui, Si nous en croyons Camille Jullian, a joui au II siècle d'une étrange Monastère de Lérins, l'un des premier monastère mérovingienpopularité, indique qu'un climat favorable à une renaissance et même à une révolution religieuse existait dans notre pays quand la religion du Christ a commencé à y pénétrer. Mais rien ne prouve que son cheminement ait été triomphal. Ses progrès ont été lents. Telle est du moins la conclusion qui s'impose à l'historien, car, à côté de trop rares documents authentiques qui éclairent de quelques lueurs l'histoire des débuts du christianisme et jalonnent une route obscure, que de légendes ont été imaginées tardivement pour justifier des ambitions de clocher et servir les intérêts d'églises rivales!
Un document, d'une simplicité sublime, qui est en même temps un témoignage irrécusable, inaugure magnifique-ment cette histoire : la lettre des serviteurs du Christ, établis à Vienne et à Lyon, à leurs frères d'Asie et de Phrygie, qu'Eusèbe a insérée dans son Histoire ecclésiastique. C'est le récit du martyre qui fut infligé en 177, sous le règne de Marc-Aurèle, à divers chrétiens des deux cités rhodaniennes : Pothin, vieillard de plus de quatre-vingt-dix ans à qui avait été confié le ministère de l'épiscopat à Lyon; Sanctus, diacre de l'Eglise de Vienne; Maturus, simple néophyte; Attale, originaire de Pergame; Pontius, jeune adolescent de quinze ans, et Blandine, qui était une esclave. La fureur des bourreaux s'acharna avec une cruauté inexorable sur cette dernière, si bien que les païens eux-mêmes avouèrent que jamais, parmi eux, une femme n'avait enduré d'aussi nombreux et durs tourments. L'auteur de la lettre a su décrire en termes inoubliables le courage et la ténacité inflexible de Blandine :
" En elle le Christ montra que ce qui est simple, sans beauté et méprisable aux yeux des hommes est jugé digne d'une grande gloire auprès de Dieu à cause de l'amour qu'on a pour lui, amour qui se montre dans la force et ne se contente pas d'une vaine apparence.
" Nous craignions en effet tous... que Blandine ne pût pas confesser librement sa foi à cause de la faiblesse de son corps. Mais celle-ci fut remplie d'une force à épuiser et briser les bourreaux qui s'étaient relayés pour l'accabler de toutes sortes de tortures, depuis le matin jusqu'au soir; ils avouèrent qu'ils étaient vaincus, n'ayant plus rien à lui faire; ils s'étonnaient qu'il restât encore un souffle en elle, tant son corps était tout déchiré et percé;... mais la bienheureuse comme un généreux athlète se rajeunissait dans la confession, c'était pour elle un renouvellement de ses forces, un repos et 'me cessation des souffrances endurées que de dire : " Je suis chrétienne et chez nous il n'y a rien de mal. "
Raprochement des symboles chrétien et païenAprès ce récit admirable, un silence presque complet se fait pendant plus d'un siècle sur le progrès de la nouvelle religion. On sait que le vieil évêque de Lyon, Pothin, a trouvé un digne successeur dans saint Irénée, qui a été un théologien éminent et un polémiste redouté par les gnostiques. Dans le désert des textes contemporains, on a longuement commenté une inscription grecque, découverte à Autun, l'épitaphe d'un jeune et noble martyr nommé Pectorius, qui contient, sous une forme mystique, l'invocation passionnée du défunt au poisson céleste, symbole du Christ; mais l'érudition moderne s'est surtout attachée à interpréter quelques lignes de l'Histoire des Francs, de Grégoire de Tours, qui seraient un document décisif sur l'évangélisation de la Gaule, si l'auteur n'avait pas écrit plus de trois cents ans après les événements. L'historien raconte que sept hommes furent envoyés en Gaule sous les consuls Dèce et Grat (250) pour y prêcher l'évangile : Gatien dirigé sur Tours, Trophime sur Arles, Paul sur Narbonne, Saturnin sur Toulouse, Denis sur Paris, Austrémoine sur Clermont, Martial sur Limoges. Les sources auxquelles l'évêque de Tours a puisé ces indications précises sont, hélas! trop incertaines et trop suspectes pour qu'on puisse lui accorder une confiance complète. Il reste seulement qu'encore du temps de Grégoire de Tours, malgré le goût qui régnait alors pour le merveilleux, on s'en tenait à la constatation loyale faite deux siècles plus tôt par l'historien de saint Martin, Sulpice-Sévère : la religion de Dieu n'a été adoptée que tardivement au-delà des Alpes.
A travers la carence des textes, il est vraisemblable de supposer que le christianisme a été introduit en Gaule par des Orientaux et des Grecs, qui ont débarqué sur la côte méditerranéenne en apportant l'évangile. La bonne nouvelle a pénétré dans notre pays en remontant le Rhône. Lyon est resté pendant plus d'un siècle le principal centre chrétien, et l'évêque de Lyon, le chef de la jeune Eglise. Quelques sièges épiscopaux ont peut-être été créés dès la fin du IIIe siècle - ceux que cite Grégoire de Tours ' peut-être aussi ceux de Reims et de Trêves. L'hostilité des pouvoirs publics, la langue grecque parlée par les premiers prosélytes, leur condition d'étrangers, ont ralenti la diffusion du christianisme en Gaule. Elle ne s'accéléra qu'au début du IV siècle, après l'édit de Milan.
L'austère vérité n'a pas contenté nos aïeux; ils ont enveloppé de légendes le passé religieux de notre pays. Ces légendes sont écloses à l'ombre de nos cathédrales, qui se disputaient l'honneur d'avoir reçu l'évangile de disciples immédiats du Christ, de même que, beaucoup plus tard, des familles nobles se vanteront à l'envi de compter des croisés dans leurs lignées.
Une des plus gracieuses de ces légendes est celle qui a conduit Marthe, Marie-Madeleine et Lazare sur les côtes de la Provence. Chassés de Palestine, ils auraient débarqué sur un radeau prés des Saintes-Maries-de-la-Mer avec la sœur de la Vierge Marie, Jacobé et leur esclave noire, Sara. La piété populaire et la poésie se sont emparées de ce récit merveilleux, Si bien qu'on hésite aujourd'hui à témoigner d'une grande sévérité pour une tradition à qui nous devons l'église des Saintes-Maries-de-la-Mer, celles de Saint-Maximin et de Vézelay, et qui a su Si heureusement inspirer Mistral, poète provençal de Mireille.
Des rivalités ecclésiastiques n'ont pas toujours été étrangères à la création des légendes. Il semble bien que celle de saint Trophime, envoyé par saint Pierre lui-même pour évangéliser la cité d'Arles, a été imaginée par les évêques de cette ville, pour revendiquer les droits de leur siège à la primatie des Gaules contre Vienne et Marseille. ne ambition semblable a poussé ceux de Paris à faire de leur patron, saint Denis, un disciple de saint Clément, pape du I siècle.

 

 

Organisation de l'église des Gaules.

- Le gouvernement de Constantin a marqué dans le monde romain un prodigieux et subit renversement " de la situation relieuse. La Gaule l'a ressenti autant que les autres pays de l'Empire. Dès 314, un an après le colloque de Milan, cet empereur, qui avait fait de la ville d'Arles l'une de ses résidences préférées, y tint un concile, où seize diocèses Gaule envoyèrent leurs délégués. Les villes de la basse lIée du Rhône y furent les mieux représentées : Vienne, Vaison, Orange, Apt, Marseille et même Nice. Mais l'examen des signatures apposées au bas du procès-verbal concile montre que les plus grandes provinces de la Gaule eurent aussi leurs délégués, et qu'Autun, Reims, Cologne, Trêves, Rouen, Bordeaux, étaient déjà pourvus sièges épiscopaux. Il n'y avait encore que l'ébauche d'une organisation ecclésiastique, qui s'est perfectionnée cours du IV siècle.
St Martin, l'apôtre des GaulesAvec beaucoup d'à-propos, l'église a calqué son administration sur celle de l'état romain. Les cités étaient encore, au début du IV siècle, des centres administratifs ifs. Elles avaient leurs magistrats et leurs curies muni-pales. Ces foyers de vie laïque sont devenus des foyers de vie religieuse. Dans chaque civitas fut établie une église dirigée par un évêque, et comme la Gaule contenait 112 civitates, il y eut 112 diocèses.
L'institution métropolitaine a complété l'institution diocésaine. Dans tout l'Empire romain, les cités étaient groupées en provinces sous l'administration d'un gouverneur, et un précieux document, la Notice des provinces cités de la Gaule, nous fait connaître les circonscriptions civiles de notre pays au début du V siècle. L'église les a adoptées; elle a conservé les provinces civiles pour en faire des provinces ecclésiastiques, et les évêques siégeant aux chefs lieux en sont devenus les métropolitains ou archevêques; mais c'est seulement au concile de Turin (398) que cette prééminence a été officiellement reconnue. Les progrès de l'évangélisation ont entraîné une autre réforme plus profonde dans l'institution ecclésiastique. Diocèse et paroisse se confondaient au début, et pendant sieurs siècles le vocabulaire a gardé la trace de cette fusion. Elle était d'ailleurs justifiée, car, l'évêque étant seul dépositaire plénier du sacerdoce, on ne concevait une communauté chrétienne sans évêque. L'étendue diocèses a rendu dès le IV siècle cette organisation insuffisante. Les conversions se multipliant, de simples prêtres ont été chargés de desservir les principaux centres habités du diocèse, les vici. Ainsi est née, obscurément, l'organisation paroissiale.
Jusqu'à Constantin, le culte chrétien n'a pas eu droit cité dans les villes; on le célébrait en dehors des murs, souvent près du cimetière des fidèles. Ce n'est qu'à partir de 312 qu'ont été construites les premières églises sur le type des basiliques civiles. Notre pays est pauvre en églises préromanes, et nos plus anciens monuments chrétiens ne pas antérieurs au VI siècle. Ce qu'il convient toutefois noter, c'est la tradition qui s'est établie, dès une époque ancienne, d'adosser les cathédrales au mur d'enceinte de la cité . Il n'est guère de villes épiscopales en Gaule où cette coutume n'ait été religieusement respectée à travers les siècles.